mardi 4 septembre 2012

Les en-têtes de décrets à relief (Grèce Antique)

Les en-têtes de décrets à relief

1-En-têtes de décrets à relief, tenants et aboutissants
1.1 Les en-têtes de décrets à reliefs, présentation général
1.1.1 Chronologie
1.1.2 Le système politique grec
1.1.3 Les différents types de décrets à relief
1.2 Le statut de la stèle inscrite surmontée d’un relief
1.2.1 Commanditaire et financement
1.2.2 Pourquoi surmonter un texte d’un relief ?
1.2.3 L’ambivalence et les rapports entre texte et vignette
1.2.4 Synthèse : dualité entre consécration privée et pratique publique

On peut distinguer, dans l'art de la Grèce classique, deux types de reliefs, en fonction de leur destination : le relief architectural, comme par exemple la frise des panathénées, et le relief indépendant. Chacun d'eux est conditionné par son « support ». Pour le relief architectural, l'architecture fourni un cadre monumental, qui contraint le relief à s'y adapter. Les sujets traités sont principalement mythologiques. Le relief indépendant, au contraire, peut-être de dimension variable, en fonction du désir du commanditaire ou du sculpteur. Mais il nécessite l'aménagement d'un socle, au même titre qu'une statue en ronde-bosse. Parmi ce type de reliefs indépendants, on peut en distinguer trois, qui se caractérisent par le fait qu'ils combinent texte gravé, nécessitant une approche épigraphique, et le relief, qui relève de l'archéologie. On distingue donc le relief votif, le relief funéraire, et le relief commémoratif, dont font partis les en-têtes de décrets à relief. Parmi ces trois types, les en-têtes de décrets à relief sont, quantitativement, les moins importants. Et, de fait, il apparaît en effet plus logique d'assortir à un texte funéraire, une épitaphe, ou sacré, une image ou vignette sculptée. L'image se justifie par la fonction (support visuel à la prière ou la déploration, monumentalisation pour honorer le défunt ou la divinité...etc.). Les reliefs en-têtes de décrets sont eux à replacer dans le contexte particulier de la démocratie athénienne, il s'agit dès les envisager globalement, sans dissocier le texte du relief.
En effet, la démocratie athénienne repose sur un système de valeur assez particulier, que je vais tenter de rapidement synthétiser. La démocratie grecque prend ses origines au VIème siècle, dans une situation de crise. Le milieu rural en particulier, ou les paysans ne possédant pas de terre pouvaient être touché par le système de servitude pour dettes, et se retrouver asservi à leur débiteur, manifestait un mécontentement grandissant par rapport à une loi liant situation financière et situation politique. A côté de ça, la nouvelle classe bourgeoise urbaine revendiquait la fin du monopole des nobles sur la sphère politique. Les cités, et Athènes en particulier, se voit la nécessité de grandes réformes dans leur système politique, qui débouche au Vème siècle sur un nouveau régime politique, la démocratie. Il est d'ailleurs intéressant de noter que des changements d'une telle ampleur ne se font pas grâce à des insurrections ou des révoltes, mais par la volonté et l'engagement de politiciens d'assurer la stabilité de la cité. Les quatre politiciens auteurs des réformes importantes qui feront la démocratie sont Dacron, au VIIème siècle, Solon, durant la crise suscité, Clisthène, à la fin du VIème siècle, et Périclès, qui au Vème siècle, renforce le caractère démocratique du système athénien en mettant en place une indemnité journalière de présence aux événements politiques de la cité, ainsi qu’aux spectacles des panathénées.
Les institutions constitutives de la démocratie athénienne, et leur fonctionnement nous sont parvenues grâce à la « constitution d'Athènes », qu'on attribue à Aristote. Ces différentes institutions sont distinctes et complémentaires. On a donc l'Ecclésia, l'assemblée des citoyens, chargée de voter les lois, le budget la guerre ou la paix, et composée de tous les citoyens d'Athènes (dans les faits, seul 6000 d'entre eux assistaient aux réunions). L'assemblée tire également au sort les bouleutes (les présidents du conseil), les héliastes (les membres des tribunaux), les 9 archontes (magistrats) et élit les 10 stratèges. C'est l'institution majeure de la cité, celle sur qui s'articule les autres (la boulé, l'héliée, les tribunaux...etc.).
On remarquera que le système politique athénien ne dispose, somme toute, que d'assez peu de fonctions électives. La légitimité des dirigeants ne se faisait pas via une élection, mais par tirage au sort. Ce système voit se constituer une classe d'orateurs, la vie politique athénienne est marquée par des actions politiques compétitives pratiquées par les orateurs et leurs factions, les « oligoï », arbitrées par les organes délibérants, les assemblées ou les tribunaux. L'autorité et la notoriété d'un homme politique se constitue directement devant le peuple, par sa volonté de proposer des lois, et sa capacité à la faire voter.
Les stèles inscrites témoignent de ces succès politiques remportés devant les assemblées. Cette définition de la fonction de la stèle gravée est cependant a tempérée, dans la mesure où elle ne témoigne pas systématiquement d’un succès personnel devant l’assemblée. Il existe en effet un certain nombre de types de décrets : Les décrets honorifiques, le décret de proxénie, par exemple, les traités entre cités, etc. Les décrets font état des décisions de la cité, prise principalement par l’assemblée, ou Ecclésia. Il peut s’agir de constitutions, de règlements, parfois de comptes rendu financiers. La gravure de ces décrets suit des règles strictes. Y sont inscrits le nom des participants, la date, les circonstances, l’intitulé, avec une formule les authentifiant : « il a plu au conseil et au peuple ». On y trouve également, à partir du IVème siècle, une formule hortative, par exemple : « afin qu'une telle attitude puisse servir d'exemple. », et « de résolution », invoquant la bonne fortune (« plaise au peuple »).
Les stèles gravées sont des documents publics, décidées par l’organe officiel du pouvoir. Mais le rajout d’un relief au-dessus du texte, rend le statut de la stèle dans son ensemble ambigu. Les stèles gravées à en-tête sont-elles à envisager comme une catégorie de reliefs, ou comme un genre épigraphique ? Leur disposition dans l’Agora, puis sur l’acropole, les apparentes aux monuments votifs. Mais, de fait, c’est le texte qui reste l’élément le plus important. La combinaison d’une monumentalisation par l’image sculptée et d’un texte permettent de donner à celui-ci plus de poids et de visibilité.
On connait l’importance de la gravure sur pierre dans la société athénienne, ou elle est utilisé pour un usage commémoratif et politique. Dans le cas des stèles gravées, il ne s’agit pas d’archivage (les archives étaient conservées dans le bouleutérion, sur papyrus ou sur des tablettes en bois), ni de « journal officiel », comme sur le monument des héros Éponymes. Leur rôle était plutôt symbolique, même si, bien évidemment, elle conserve un caractère informant. Elles étaient destinées aux citoyens immédiats et contemporains, et non pas aux générations futures. Il s’agit de publicité solennisée, dont l’impact est différent du « verba volant ». Le texte gravé est souvent abrégé, mais conserve son officialité et sa validité. Le but est de faire savoir qu’une décision a été prise, grâce, ou en l’honneur d’untel, plutôt que de faire connaitre la décision en elle-même. Son caractère est politique que juridique.
La question du commanditaire, et du financement de la stèle gravée surmontée d’un relief permet de se rendre compte de l’ambivalence de ce type de monuments. Le fait de faire graver un décret n’est pas automatique. Il s’agit d’un droit accordé par l’assemblée, indiquant une volonté de lui faire une meilleure publicité. L’organe de décision publique décide de faire graver le texte, et contrôle la fabrication de la stèle, ce n’est pas à l’initiative du citoyen ou du proxène concerné. C’est cependant à lui de prendre en charge son financement, et de choisir s’il désire la surmonté d’un relief, à ses frais. La commande au lapicide (le graveur sur pierre) se fait de concert entre le secrétaire du conseil et l’individu qui souhaite ajouter un relief au texte inscrit. Il apparait également que, même si texte et relief sont gravés en même temps, sur le même bloc de pierre (de marbre, le plus souvent), le relief n’est jamais indiqué ou suggéré dans le texte. On trouve dans les textes la mention des clauses financières spécifiques à la conception de la stèle, qui sont semblables qu’elle soit surmontée d’un relief ou non. Ainsi, ni la procédure, ni le financement ne diffère entre une stèle gravée et un décret à en-tête. On peut en conclure que le relief résulte d’une initiative privée s’exprimant après le vote publique.
En fonction de la nature du décret, l’intérêt de faire surmonter la stèle d’un décret d’un relief diffère. Dans le cas des décrets honorifiques, c’est celui qui est honoré, bien sûr, et le relief viendrait monumentaliser le texte, comme pour sur-légitimer l’honneur reçu. Lorsqu’il s’agit d’une loi, c’est celui qui l’a fait promulguer, le Rogator (l’auteur et promoteur de la proposition), qui entend par ce biais profiter de la publicité accorder par l’assemblée, en accroître l’impact, afin d’en tirer le maximum d’effets politiques. La renommée et la réputation, politique et civile, sont les moteurs de la démocratie athénienne.
Une autre hypothèse tendrait à donner une place plus importante au secrétaire dans l’élaboration du relief. On trouve en effet parfois son nom situé au-dessus, ou en dessous du relief, à la place de celui du dédicant, dans le cas des reliefs votifs. Il pourrait, en plus d’être responsable du texte et de son exposition, avoir un rôle actif dans la fabrication du relief. Ceci dit, le rôle du secrétaire tend à se réduire à partir du IVème siècle, il n’est plus élut mais tiré au sort. Le Rogator prend une place centrale : son nom est cité lorsqu’on évoque la loi qui a fait promulguer, et il en porte la responsabilité. Il peut être poursuivi en cas d’exception d’illégalité.
Les stèles inscrites à reliefs témoignent du caractère particulier de la vie politique athénienne au Vème et IVème siècle. La légitimation de la classe dirigeante se faisait presque uniquement au travers des victoires devant l’assemblée. Les reliefs, en reflétant directement le contenu du texte, tendent à rendre visible des réalités conceptuelles, au travers de personnifications et de divinités poliades très simplement misent en scène. Un accord entre Athènes et Samos sera illustré par Athéna et Héra, par exemple).



Auguste Perret, le Musée des Travaux Publics à Paris

Auguste Perret, le Musée des Travaux Publics à Paris (1937-1960)

I-Histoire
L’élaboration du projet
le rapport de Perret aux musées
II- Le musée des Travaux Publics, ou la conception d’un nouvel ordre architectural
Description de l’édifice
Un monument de synthèse
Le vocabulaire d’Auguste Perret arrivé à maturité

Auguste Perret (1874-1954), architecte français, a joué un rôle déterminant dans l’élaboration de l’architecture Moderne. Premier architecte a réellement comprendre l’intérêt du béton armé, matériau auquel il restera toute sa carrière attaché, il a également initié plusieurs principes majeures de l’architecture du XXème siècle, tel que le « style sans ornement », la structure « poteau-poutre-dalle » ou encore le plan libre. L’édifice qui nous intéressera ici est son musée des Travaux Publics, malheureusement inachevé. Mon exposé s’articulera en deux parties. Dans la première, je remettrai le musée dans son contexte historique, nous verrons donc la genèse du projet, en nous attardant sur le rapport que Perret entretient avec le Musée comme type d’édifice. Dans un second temps, je m’intéresserai au musée des Travaux Publics du point de vue architectural, afin de voir comment, au travers d’un vocabulaire arrivé à maturité, Perret propose un monument de synthèse, avec une volonté de concevoir un nouvel ordre architectural ancré dans la modernité.

  La première partie du XXème siècle voit Paris se doter d’équipements culturels importants, tel que le palais de Tokyo, qui abrite le musée d’art moderne, le musée des Colonies à la porte Dorée, le palais Chaillot…etc. C’est dans cette visée pédagogique que la construction du musée des travaux publics est décidée dans les années 30. Le musée est envisagé initialement pour l’exposition internationale des Arts et technique de 1937. Auguste Perret, lors du concours de 1932 organisé pour le choix du site, propose un projet ambitieux, pour lequel il veut « déraser le Trocadéro, ce pauvre vestige de l’Exposition de 1878 ». Cependant, la crise de février 1934 provoque un changement du gouvernement, et Perret perd ses soutiens au projet. L’exposition de 1937 aura donc lieu au Palais Chaillot, bâti par les architectes Jacques Carlu, Louis-Hippolyte Boileau et Léon Azéma. Edmond Labbé (Commissariat Général de l'Exposition Internationale des Arts et Techniques de 1937 à 1938) relance le projet de Perret, mais les travaux ne commenceront qu’en janvier 1937, trop tard pour qu’il puisse participer à l’exposition.

La réalisation du Palais d’Iéna fut donc sans doute confiée à Perret pour compenser le refus de son projet de refonte totale de la colline de Chaillot. L’édifice, dessiné et conçu par Auguste Perret, sera réalisé par la société qu’il possède avec son frère, la « société des grands travaux en béton ». Il sera implanté dans une parcelle triangulaire, formée par les avenues d’Iéna, du Président Wilson et d’Albert de Mun. Le musée est inauguré avant la fin des travaux, en mars 1939, dans l’aile parallèle à l’avenue Iéna. La guerre retarde les travaux, la construction de la rotonde face à la place d’Iéna s’échelonnera de 1939 à 1943. L’aile sur l’avenue du président Wilson (symétrique de celle du musée) ne sera bâtie qu’en 1960-62, sur des plans d’un élève de Perret, Paul Vimond, tandis que le bâtiment fermant le triangle de la cour n’est terminé qu’en 1995. De fait, le palais d’Iéna comme nous le connaissons aujourd’hui est assez éloigné du projet originel de Perret. L’aile de Bouchez, en particulier, diffère grandement, dans son architecture, de l’original.

Pour Perret, le musée s’envisage comme une synthèse entre filiation historique, nouveauté de la technique de construction, en accord avec les objectifs politiques de progrès économique et culturel de la première partie du XXème siècle. « Son » matériau, le béton, alors novateur, permet de donner une vigueur nouvelle aux principes classiques, avec un rationalisme hérité de Viollet le Duc.
Il s’agit pour Perret de définir un vocabulaire architectural, de créer un ordre architectural moderne français, de même statut que l’ordre dorique, ionique, corinthien de la Grèce antique. C’est une volonté que l’on retrouve particulièrement dans ses œuvres des années 30.
Auguste Perret s’intéresse au musée en tant que type d’édifice. La tradition muséographique française a toujours mis en relation ordre architectural et musée. Le musée français a sa propre typologie : Souvent orné d’une colonnade, elle lui confère un statut de dépositaire des biens culturels, et se présente comme une sorte de réceptacle, ou d’écrin de l’identité culturelle.
La première expérience de Perret dans la conception d’un musée date de 1924, avec le palais de bois, un bâtiment temporaire mais qui aboutira à une galerie d’exposition permanente pour le salon des tuileries en 1926-1928. En 1931, il dessine les plans d’un musée dédié à Antoine Bourdelle, son collègue et ami, décédé en 1929. Finalement, ce musée sera installé dans l’atelier de Bourdelle, mais il est intéressant de noter que le sculpteur (qui envisageait, comme Rodin, de créer son propre musée à la fin de sa vie) avait suggéré le site ou Perret bâtira, une dizaine d’années plus tard, le palais d’Iéna.
L’engagement de Perret dans la question du musée se retrouve dans ses écrits. Dans son article de 1929, « le musée moderne », il définit sa propre conception du musée idéal. Cet idéal se traduirait par un musée horizontal, à un seul niveau, avec un éclairage zénithal. Il l’imagine composé de longues galeries parallèles, qui partiraient d’une cour centrale, et qui seraient chacune marquée par une œuvre emblématique, servant de point de repère pour le visiteur. Pour Perret, je cite, « le musée ne doit pas être un labyrinthe, le visiteur ne doit pas être hanté par l’idée qu’il oublie des salles, qu’il n’a pas tout vu ». Ce musée « utopique », dans la mesure où il demande beaucoup de place, Perret l’envisageait en périphérie de Paris, vers le bois de Boulogne, par exemple.
Mais l’intérêt de Perret pour le musée va au-delà de considération pratique. C’est le musée en tant que type d’édifice qui l’intéresse, son double statut, entre monument urbain, inscrit dans la ville, et creuset de la culture nationale. Perret est fasciné par le bâtiment en lui-même.
Le musée idéal de Perret ne se réalisera jamais, se heurtant aux contraintes inhérentes à l’architecture urbaine, le terrain, le budget, etc.
Perret réalise également le musée des Beaux-arts de Sao Paulo, au Brésil. Il s’agit d’une de ses dernières œuvres. L’architecte avait voyagé en Amérique du sud, et avait donné des conférences à Buenos Aires, qui lui vaudront l’honneur d’être élu membre de l’académie des beaux-arts d’argentine. Pour ce musée, il collabore avec un architecte polonais, Antoni Dygat, très admiratif de Perret. Dans une lettre de 1947, il s’adresse à l’architecte en ces termes : « Cet esprit « perretien  » […] qui vous permet […] d’aborder les problèmes techniques modernes en architectures, comme au temps ou architecture voulait encore dire mesure, logique, méthode. » Un esprit vitruvien, en somme. La lettre témoigne du sens de la grammaire architectural ordonné de Perret. Il associe, dans ce projet, les exigences pratiques à un nouvel ordre, faisant de l’édifice un emblème culturel, fusion entre conservatisme et progrès.

II-Le musée des Travaux Publics, ou la conception d’un nouvel ordre architectural
Le projet de Perret pour le musée des Travaux publics s’organisait sur la forme d’un triangle isocèle, dont le sommet était formé par une rotonde contenant une salle de conférence de 800 places.
La rotonde fermant le triangle reprend ce principe d’ossature dans l’ossature déjà développé au Mobilier National. Perret distingue les colonnes indépendantes en façade de celle de l’auditorium. La colonnade du péristyle est reliée à celle située dans l’hémicycle par la charpente de la toiture, formant un portique qui contient les poussées des deux demi-coupoles emboitées. L’entrée dans l’édifice se fait par cette rotonde, et donne sur un vestibule en courbe qui suit les contours de l’auditorium, et donne accès au bras du triangle, formés par deux grandes salles hypostyles à deux niveaux, plus un soubassement Ils étaient destinés à recevoir les maquettes exposées. Là encore, Perret reprend le principe de double ossature. Les 8 colonnes indépendantes, rythmant la façade, formaient une colonnade soutenant le toit. Elle formait un vaisseau extérieur indépendant de la structure intérieure, ou deux rangées de colonnes soutenaient le niveau supérieur, divisant le niveau inférieur en 3 vaisseaux. Grace à ce procédé, l’étage proposait un espace d’exposition continu, large de plus de 18 mètres, sans aucun poteau. La structure s’articulait donc en deux portiques distincts, l’un lisible de l’extérieur, qui portait uniquement la dalle de la toiture et définissait l’ordre principal de l’édifice, le second soutenant le plancher de l’étage. L’effet produit est à la fois pratique et spectaculaire, en particulier au premier niveau, qui rappelle une autre œuvre des frères Perret, l’église du Raincy et sa forêt de colonnes. Elles supportent la charpente, qui forme un plafond à caisson, tapissé de grands panneaux en bois, que Perret a utilisé par souci esthétique, afin de cacher les imperfections dues au coffrage et également pour garantir à la salle une meilleure acoustique.
Contrairement aux colonnes employées par Auguste Perret au théâtre des champs Elysées, qui n’étaient que de simples cylindres, il utilise ici des colonnes tronconiques, fines à la base et s’élargissant progressivement vers le haut. Elles sont évasées en chapiteaux, soulignés par un décor de palmettes. Au point de jonction avec la poutre, le cercle de la colonne se mut en carré, afin de mieux exprimer son caractère portant. Perret donne ici sa propre interprétation des antécédents classiques, en explorant la manière d’appliquer la manière classique à une construction en béton. Pierre-Edouard Lambert, lors de la construction du front de mer Sud au Havre, reprendra cette typologie.
En reprenant les éléments essentiels du péristyle grec, Perret obtient un équivalent moderne aux formes et à la précision antique, appliqué au béton. Le monolithisme de l’ossature reprend, de ses propres mots, l’idée du palmier, faisant lien entre les différents pièces encastrés les unes aux autres de l’édifice. Le bouchardage des colonnes, témoignage du souci du détail de Perret, évoque les cannelures des colonnes antiques. Comme au Parthénon, les colonnes s’évasent légèrement à leur sommet, afin de corriger l’illusion d’optique de concavité.
Le vestibule donne, de chaque côté, sur une salle hypostyle rectangulaire, a deux vaisseaux, dont le second, légèrement plus long, se termine par un demi-cercle, afin de s’adapter à la liaison avec les ailes nord et sud. Au centre de la salle, un escalier, monumental, dessert les galeries supérieures, formant le centre visuel et le cœur de la composition. En face de l’escalier, on trouve l’entrée de l’auditorium. Il s’agit d’un hémicycle en pente, face à une estrade. Cet espace est peu visible de l’extérieur. Il est couvert par un plafond en briques de verre, au centre duquel se trouve une coupole formé de nervures en béton. Le plafond laisse passer la lumière naturelle par une seconde coupole, à nervures de béton également. Des baies en claire-voie tout autour du périmètre de la coupole permettent un éclairage indirect. Les recherches de Perret sur un éclairage naturel, ou en donnant l’illusion, se retrouve dans sa volonté de placer, dans l’espace entre les coupoles, des ampoules électriques simulant la lumière du jour pendant la nuit.

A la charnière entre le XVIIème et le XVIIIème, Jean-Louis de Cordemoy, théoricien de l’architecture, donne une définition de l’œuvre architecturale, dans son « nouveau traité de l’architecture ». Pour lui, une œuvre d’architecture doit agencer ses éléments de manière à unifier la structure et la fonction, en développant la notion de « bienséance », prônant que dans un édifice, rien ne doit être contraire à la structure et à la coutume. L’exploitation de ces idées est relativement explicite dans le musée des Travaux Publics de Perret, dont l’intérêt marqué pour l’aménagement de l’espace et de la structure, suit son leitmotiv de « style sans ornement ». Dans son œuvre, il prend en compte la question de la structure, le soutien, et du programme, la flexibilité. Il s’agit de satisfaire aux conditions permanentes et passagères, en édifiant une architecture soumise à l’Homme et à la Nature. Pour Perret, cette ambivalence seule permet à un édifice d’avoir du caractère, du style, de l’harmonie. L’édifice, monumental, s’intègre cependant dans le paysage urbain, son monochromatisme, qui correspond au goût de Perret, et sa régularité, lui permettent de s’y fondre.
Le musée des Travaux Publics, qui nous apparait aujourd’hui comme l’expression de l’œuvre de Perret arrivée à maturité, n’est cependant pas nécessairement envisagé comme telle par les commentateurs des années 30. Bruno Zevi, historien d’art et critique italien, tend à considérer le musée de Perret comme représentatif de la « décadence artistique » marqué par le retour à l’architecture classique, grandiose et monumentale. Sa critique est à envisager dans le prisme du contexte artistique et politique des années 30, marquées par l’avènement de puissances totalitaires, en Allemagne, en Russie et en Italie. Le style tendant au néo-classicisme résulterait d’une crise de l’école Moderne, qui se heurterait à une incapacité des architectes à concilier au fonctionnalisme les théories esthétiques de la forme moderne. Pour Zevi, ce type d’architecture ne serait pas dû à une volonté de penser l’architecture selon un principe supérieur, mais serait emblématique d’un essoufflement du mouvement moderne, qui se caractériserait par une nostalgie de la Culture, qui se positionnerait dans une posture historique réactionnaire, résultant de la méfiance du public et des architectes, par extension, envers la radicalité du modernisme.
Ce parti pris, assez peu en phase avec les recherches contemporaines sur Perret, est assez radical. Il parait plus judicieux d’envisager le musée des travaux Publics sous l’angle des recherches de Paul Valéry (1871-1945). Pour celui-ci, la forme classique témoigne de l’expression d’une attitude critique envers la multiplication des formes sans rapport entre elles, éphémères. Ce « retour » à la forme classique marquerait la nécessité, pour contrecarrer cet état de fait, d’une attitude plus exigeante : une intention claire associé à une rigueur dans l’exécution.
Dans son ouvrage « Contribution à une histoire de l’architecture », paru en 1952, Perret cite une phrase de Jean François Marmontel (1723-1799), intellectuel français du XVIIIème siècle : « Exprimer sa pensée avec le moins de mots et le plus de force qu’il est possible, voilà le style ». On retrouve en effet dans l’œuvre de Perret, un vocabulaire volontairement restreint : colonnes, poutres, murs, dalles. Il recherche avant tout une expression lisible de la structure du bâtiment, dont le rythme, la symétrie, produisent une harmonie qui placerait l’édifice dans une sorte de « détachement hors du temps ».
Au-delà de l’exigence formelle classique voulue par l’architecte, qui tend vers un idéal d’exigence, le musée des Travaux Publics se présente comme l’archétype d’un nouvel ordre architectural moderne, qui allierait la maîtrise technique de Perret, son matériau fétiche, le béton, à la vision conceptuelle du classicisme de Paul Valéry.

Bibliographie : à venir.