vendredi 24 février 2012

Jean Léon Gérôme, Le Siècle d’Auguste et la naissance du Christ, 1855, Musée d’Amiens. L’échec de la « grande peinture d’histoire »

Jean Léon Gérôme, Le Siècle d’Auguste et la naissance du Christ, 1855, Amiens, Musée des Beaux-Arts.

  Jean Léon Gérôme, né le 11 mai 1824 à Vesoul, arrive à Paris à 16 ans et intègre l’atelier de Paul Delaroche. En 1843, il accompagne, avec plusieurs de ses condisciples, son maitre en Italie, où il exécute principalement des études architecture, de paysages, et de figures. Il rentre à paris en 1845 et commence à se faire connaitre au salon de 1847 avec son « combats de coqs ». Il y obtient une médaille de 3ème classe, ainsi que les éloges de Théophile Gautier, et se voit consacré chef de file, à 23 ans, des néo-grecs. Son « intérieur Grec, le Gynécée », présentée au salon de 1850 est acquise par Louis-Napoléon, encore président de la République. C’est donc à un artiste encore jeune, moins de trente ans, mais déjà confirmé que l’Etat, commande, en 1852, une toile monumentale pour l’exposition universelle de 1855. Il s’agit-là d’une démarche de propagande, avec une volonté de donner une meilleure image du Second Empire, qui, suite au coup d’état de Napoléon III, remplace la République. Le gouvernement du nouvel empereur alloue un budget assez colossal de 300 000 Francs au ministère de l’éducation publique. Gérôme en recevra 20 000. Le sujet est libre, et l’artiste choisira de représenter, en peinture, un passage du « Discours sur l’Histoire universelle », de Jacques-Bénigne Bossuet, datant de 1681. Le passage choisit évoque l’instauration de la Pax Romana par Auguste, et la naissance du Christ, et s’intitule : Le siècle d’Auguste et la naissance du Christ. Le tableau sera transféré au Musée d’Amiens dès 1864, il y est d’ailleurs toujours, après un bref passage au Musée d’Orsay, à Paris.
Le tableau reçoit un accueil critique mitigé. Au regard de ses ambitions, c’est un échec. Après avoir étudié l’oeuvre en elle-même, nous tenterons de discerner les raisons de cet échec, par rapport au contexte artistique du moment, mais également les répercussions qu’il aura sur la suite de la carrière de Gérôme, et comment, dans sa production artistique, la petite histoire supplantera la grande.
• L’oeuvre en question
La première moitié du XIXème voit l’apparition d’une nouvelle réflexion sur l’histoire, plus matérialiste. Il s’agit de l’envisager sous une perspective synthétique. C’est une tendance que l’on retrouve dans les encyclopédies, dans les ouvrages de synthèses de l’histoire de l’art, mais dont la volonté de « tout raconter » implique certains problèmes méthodologiques. Cette nouvelle vision de l’Histoire se retrouve dans la littérature et la peinture. On voit à l’époque de grands projets de peintures d’histoires, avec par exemple « l’Histoire du Christianisme » (1836-1838) de Jules-Claude Ziegler (1804-1856), qui met en scène la fondation et le développement de l’église catholique dans un même tableau, destiné à la coupole de l’Eglise de la Madeleine à Paris. Il s’agit ici d’une oeuvre de glorification du Christianisme, au discours fonctionnel reprenant le thème de la mission sacré.
Paul Delaroche, pour l’hémicycle des Beaux-Arts, peint une fresque monumentale de 27 mètres de long mettant en scène les plus grands penseurs et artistes de l’antiquité, rassemblés autour d’un socle sur lequel trône les trois artistes ayant travaillés à l’édification du Parthénon : l’architecte Phidias, le peintre Apelle et le sculpteur Ictinus.

Paul Delaroche, Hémicycle des Beaux-Arts (détail), 1837-1841, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts



L’apparition de la notion de « Grands Hommes », moteurs de l’histoire, développée par Hegel, contribuât également à l’apparition d’un nouveau genre de peinture d’histoire. Paul Chenavard s’inspire directement de la philosophie de l’Histoire d’Hegel dans son oeuvre de commande pour le décor intérieur du Panthéon, que l’on voulait alors transformé en temple de l’Humanité. Sa Palingénésie sociale, dans sa conception cyclique, cherche à représenter les principales étapes de la « marche du genre Humain dans son avenir à travers les épreuves et les alternatives de ruines et de renaissance.
Dans la littérature, cette tendance se retrouve appliquée par Victor Hugo dans la Légende des Siècles. Ce recueil de poèmes est conçu comme un immense tableau visant à exprimer l’Humanité, son éclosion et son épanouissement dans une sorte d’oeuvre cyclique. L’histoire est mise en perspective du passé, abordée avec distanciation, par une vision synthétique de l’histoire au travers de figures symboliques ou incarnant leur siècle. Comme V. Hugo le note dans la préface de la première série, « c’est de l’histoire écoutée aux portes de la légende ».
Jean Léon Gérôme est un passionné d’histoire. Lorsqu’on lui passe la commande d’une grande toile historique, il y voit l’opportunité de laisser cours à sa passion, et de se mesurer aux grands maîtres du genre qui l’ont précédé. L’élaboration de la toile se fera en trois ans. Une lettre, datant de février 1853, destinée au comte Nieuwerkerke, directeur des Musées depuis 1849, et qui deviendra Surintendant des Beaux-Arts à partir de 1863, Gérôme indique avoir « effectué une partie des dessins préparatoires ». Il lui demande également une avance de 5000 Francs, qui lui seront versés le 15 février. Cet argent servira à financer un voyage en Europe Orientale, durant lequel il effectuera des recherches d’ordre ethnographique. LUDIQUE
Le 8 mai 1854, un rapport d’inspection indique que le carton est terminé, et que Gérôme en est au stade de l’étude finale. Au cours de ses 3 ans de travail, il recevra plusieurs acomptes, et le solde sera payé en juillet 1855, soit environ deux mois après l’exposition de la toile.
Gérôme a réalisé un grand nombre de dessins préparatoires pour son tableau. On peut en voir certains au Musée Rolin à Autun ou au Musée de Cambridge en Grande-Bretagne (pour Auguste, ainsi que d'autres groupes). Le catalogue de Vesoul de 1981 permet également de voir les esquisses de Marie et de l’enfant Jésus.
-L’oeuvre, description et analyse
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Apothéose d’Homère, 1827,
Paris, Musée du Louvre
L’influence majeure de Gérôme dans la conception du tableau est « l’apothéose d’Homère », d’Ingres, peint en 1827. Le livret dans le catalogue de l’époque le décrit comme « Homère recevant l’hommage de tous les Arts, dont il est l’inventeur et le père ». Ingres y définit les règles d’un genre nouveau : le Panthéon. Il s’agit de la réunion artificielle et statique de personnages historiques, choisis comme emblématiques. La mise en scène des différents personnages s’apparente à une « photographie de groupe », ou chaque participant est pourvu de sa propre personnalité sans pour autant participer à une action de groupe. Ingres organise ses figures en petits groupes, dans un espace compact et peu aéré, en superposant les personnages en une masse invraisemblable, anachronique. L’accumulation de grandes figures de l’histoire artistique dans une procession sans réelle action, seulement animée par la variété des gestes et des postures des personnages, définie un nouveau genre d’allégorie. La toile, qui inspirera Paul Delaroche pour l’hémicycle des beaux-arts, et plus tard son élève Gérôme, s’inscrit dans la plus pure tradition classique, d’autant plus quand on la met en rapport avec « La mort de Sardanapale » de Delacroix, exposé au même salon. Ce type de composition sera progressivement rejeté dans une sorte d’archaïsme.
Jean Léon Gérôme choisit un sujet antiquisant, une illustration d'un passage du "Discours sur l’Histoire universelle », de Jacques-Bénigne Bossuet, que voici :
"Les restes de la république périssent avec Brutus et Cassius. Antoine et César, après avoir ruiné Lépide, se tournent l’un contre l’autre. Toute la puissance romaine se met sur la mer. César gagne la bataille actiaque : les forces de l’Égypte et de l’Orient qu’Antoine menait avec lui sont dissipées : tous ses amis l’abandonnent, et même sa Cléopâtre pour laquelle il s’était perdu. Hérode Iduméen qui lui devait tout, est contraint de se donner au vainqueur, et se maintient par ce moyen dans la possession du royaume de Judée, que la faiblesse du vieux Hyrcan avait fait perdre entièrement aux asmonéens. Tout cède à la fortune de César : Alexandrie lui ouvre ses portes : l’Égypte devient une province romaine : Cléopâtre qui désespère de la pouvoir conserver, se tue elle-même après Antoine : Rome tend les bras à César, qui demeure sous le nom d’Auguste et sous le titre d’empereur seul maître de tout l’empire. Il dompte vers les Pyrénées, les Cantabres et les Asturiens révoltés : l’Éthiopie lui demande la paix : les Parthes épouvantés lui renvoient les étendards pris sur Crassus avec tous les prisonniers Romains : les Indes recherchent son alliance : ses armes se font sentir aux Rhetes ou Grisons, que leurs montagnes ne peuvent défendre : la Pannonie le reconnaît : la Germanie le redoute, et le Veser reçoit ses lois. Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus. Tout l’univers vit en paix sous sa puissance, et Jésus-Christ vient au monde."
Le sujet est parfaitement adapté aux visées impérialistes de Napoléon III, au contexte de fin de la république, remplacé par le second Empire, et, plus précisément, à l'exposition universelle organisée par l'empereur, ou la France accueille le monde entier. Dans son discours d'ouverture, Napoléon III dira : "j'ouvre avec bonheur ce temple de la Paix qui convie tous les peuple à la concorde".
La composition du tableau s'organise symétriquement autour d'un axe vertical articulé autour de la figure d'Auguste. Dans la partie haute du tableau, la façade du temple de Janus, divinité romaine du commencement et du passage, se détache sur un ciel sans nuage, exactement comme dans le tableau Ingres dont Gérôme s'inspire. Devant le temple, Auguste divinisé, dont la pose et le sceptre rappellent le Jupiter Capitolin qui avait déjà inspiré Ingres pour ses portraits de Napoléon, trône sur une estrade en marbre au côté d'une petite statue du même Jupiter. L'inscription sur le socle exalte la gloire d'Auguste, en énumérant les provinces conquises et pacifiées : "César Auguste, imperator victor canabrorum, astum, Pathorum, Raethonum et Indunum, germaniae, pannoniae, domitor pacificator orbis, pater patriae." On voit citer des peuples et des provinces évoqué par Bossuet.
Aux pieds d'Auguste sont placés, à droite, l'aigle impérial, et à gauche, debout et adossé à l'estrade, une femme personnifiant Rome, vêtue d'une chlamyde rouge, portant lance et bouclier.
A droite, en haut des marches, César, en bleu, est représenté mort, tandis que ses deux chefs de la conjuration, Brutus et Cassius, vêtus de toges blanches relevées sur leurs têtes, s'éloignent en descendant les marches. Ce sont les seuls personnages de la composition, à l'exception de la sainte famille en bas, à ne pas participer à la dynamique dirigée vers Auguste. Cassius, l'air sombre, porte la main à son front et semble regarder vers l'avenir, la défaite des partisans de la république et l'avènement de l'empire. Tandis que les deux conjurés s'éloignent de Rome, le monde entier se masse dans la partie inférieure du tableau, se rassemble pour payer le tribut au nouvel empereur, et se soumettre au nouvel ordre qu'il instaure : la Pax Romana. Gérôme représente une foule éclectique d'individus et d'animaux exotiques de toute "race", tout type, toute coutume. Dans la partie droite du tableau, il peint différents groupes, des indiens montés sur un éléphant, les Parthes rapportant à Auguste les enseignes romaines perdues par Crassus à la bataille de Carrhes et les soldats qui avaient été fait prisonniers (une des grandes victoires diplomatiques d'Auguste), tandis qu'un barbare Nordique couvert de peaux de bêtes est placé au côté d'une mère amenant ses enfants voir l'empereur.
A gauche, deux hommes amènent des captifs vers l'empereur, en les tirant par les cheveux. Il s'agit peut-être de personnifications de pays conquis. Un roi oriental, richement vêtu, est soutenu par deux esclaves, un jeune garçon noir tenant un bouclier et une femme presque nue. Il est tourné vers Auguste, et sa faiblesse symbolise peut être la supériorité écrasante de Rome sur les autres royaumes. Plus haut, juchés sur des dromadaires, de jeunes arabes et africains viennent faire pendant au indiens placé de l'autre côté.
Près du bord inférieur du tableau, mais légèrement décentré, Gérôme a représenté la naissance de Jésus. Le nouveau-né, baigné de lumière, Marie et Joseph agenouillé autour de lui en posture de prière, sont séparés de la foule par les ailes protectrices d'un ange. Par rapport à l'étude d'assez petite taille que Gérôme avait réalisé, on note quelque différences dans le traitement de la sainte famille. L'échelle est accru, Marie et Joseph sont redressés et gagne en hauteur. L'ange était à l'origine représenté les mains levées, il a dans le tableau final les ailes déployées autour de la sainte famille, dans une attitude protectrice qui les isole et les différencie clairement de la foule. Le rayonnement jaune/orange assez intense autour du Christ, qui crée un second centre visuel, n'était pas prévue à l'origine, il s'agit là encore d'un ajout tardif.
Gérôme supprime les victoires ailées, initialement prévue en train de couronné Auguste. Il s'agit ici d'insister sur la prééminence d'Auguste, dont la figure domine toute la scène, mais également de ne pas créer de confusions entre les victoires, génies païens, et l'ange chrétien. Il procède à d'innombrables changements dans la procession fantasmagorique du registre inférieur, des changements de types, de poses, d'accessoires... Les rangs du bas gagnent en importance, l'opposition entre la composition pyramidale du registre supérieur et la partie inférieure dont les figures forment une sorte de croissant, dont les extrémités (arabes sur dromadaires à gauche et indiens sur éléphant à droite) remontent presque à la hauteur d'Auguste, donnant une profondeur supplémentaire à la composition.
Gérôme représente au sein du même tableau les deux êtres supérieurs qui marque le début d'un nouvel âge d'or: Auguste, bien sûr, qui instaure sous son règne la Paix Romaine, universelle, en établissant une cohabitation de tous les peuples autour de sa figure impérial, et le Christ, dont la venue est "prophétisée" par Virgule dans le quatrième poème des bucoliques, qui célèbre la naissance d'un enfant qui marquera le début d'un nouvel âge d'or, empli de paix et de prospérité.
Gérôme construit, au travers d'une peinture d'histoire, un discours de propagande du second empire. Napoléon III peut aisément se substituer à Auguste, et la foule rassemblée autour de l'empereur romain divinisé évoque directement l'exposition universelle organisée par le nouvel empereur des français, presque 2000 ans plus tard.
II-La réception de l'oeuvre
Le siècle d’Auguste et la naissance du Christ reçoit un accueil critique mitigé. Si elle n’est pas unanimement hostile à la grande composition de Gérôme, reste assez hermétique et froide à l’égard de ses ambitions. Quelques critiques font l’éloge du tableau, en particulier Théophile Gautier qui ne contient pas son admiration, considérant que Gérôme a réalisé un vrai tableau d’histoire, au sens élevé du terme, comme on l’entendait au XVIIème siècle dans la hiérarchie des genres proposée par André Félibien, pour qui la peinture d’allégorie et la peinture d’histoire sont les genres les plus nobles, qui contiennent tous les autres genres qui leur sont subordonnés. Mais Théophile Gautier était critique officiel (le seul) de l’état, et travaillait pour « le moniteur universel », journal de l’empire. Il devait donc diffuser le point de vue officiel sur l’exposition. Et même s’il exprime sans doute son propre goût, il reste tout de même subordonné au commanditaire. Sa critique est par conséquent biaisée.
Les critiques à l’égard du tableau de Gérôme se fondent aussi bien sur la forme que sur le fond. Sur le fond, il leur apparait que, malgré les efforts déployés pour structurer la composition en s’inspirant de ses maîtres (Ingres, Delaroche, Etc.), il n’en résulte de fait qu’une grande confusion. La volonté de synthèse d’un siècle et de contraste entre le monde païen des romains et l’avènement dans le même temps du christianisme, que Bossuet établie en catapultant l’annonce de la naissance du Christ en fin de paragraphe, presque par surprise, se perd chez Gérôme dans la surabondance de détails visuels. Le sacrifice de l’unité du tableau au profit de deux registres distincts est assez mal perçu par les critiques. Le manque d’unité stylistique, avec le registre supérieur ingresque, statique et symétrique, et la sainte Famille qui va chercher ses influences du côté des nazaréens allemands, sans doute voulu pour établir un contraste rhétorique évident, est décrié par la plupart des critiques, qui réclame une plus grande homogénéité. L’un d’eux, à ce sujet, considérera que la toile présente un « tableau dans un autre tableau ».
Mais au-delà de ces considérations sur la forme, la plastique de l’oeuvre, Gérôme se heurte à des critiques plus profondes. La toile est exposée dans un contexte de réaction contre l’art philosophique. Ceux qui avaient apprécié l’enjouement presque naïf de ses toiles néo-grecques (dont « le
combats de coqs »(1847) est le plus bel exemple) ne sont guère réceptifs à ses nouvelles visées intellectualistes. Ils tendent même à considérer son ambition comme déplacé, et ne donnant lieu qu’à une juxtaposition anachronique et confuse, un mélange maladroit de personnages historiques et d’allégories/personnifications. L’un d’eux écrira : « cette grande toile est-elle une page religieuse, historique, philosophique? Ni l’un, ni l’autre! »
Le tableau de Gérôme marque également les limites de la transcription picturale du littéraire. La peinture est bridée, ses limites visuelles et spatiales inaptes à restituer la profondeur et l’universalité d’un discours qu’elle entend égaler. Un critique écrira : »Ses forces [n’étaient pas] à la hauteur de son ambition ».
Les critiques ne sont pas tendre avec Gérôme, mais elles marquent, au-delà des opinions subjectives de chacun, un changement du gout et un besoin de renouvellement d’un genre à bout de souffle.
Dans ses notes autobiographiques, Gérôme évoque ce tableau avec une certaine frustration. Je cite :
« Cette toile qui m’avait couté deux années de travail et des efforts énormes (elle mesure 10 mètres de long sur sept de haut) n’obtint qu’un succès d’estime. C’était peut-être injuste. Pourtant, je dirais que ce tableau à un default capital : Il manque d’invention et d’originalité. Il rappelle, par son agencement, et malheureusement par ce seul côté, l’Apothéose d’Homère de M. Ingres, dont il est, pour ainsi dire, la paraphrase. Cette faute grave une fois constatée, disons qu’il y a dans cette composition des figures bien trouvées, des motifs de groupes heureusement combinés (tel que Brutus et Cassius, Cléopâtre et Antoine), des arrangements de costumes, des draperies d’un bon style, enfin, une somme de volonté parfois couronné de succès, dont le public aurait peut-être dû me tenir compte : ce qui n’a pas été fait. […] En même temps parut un petit tableau représentant « la musique d’un régiment russe ». J’avais, à ce qu’il parait, trouvé la note sensible, car il fut beaucoup plus remarqué que mon grand ouvrage sur lequel je comptais d’avantage. »
III- Un Echec ?
L’échec critique du « siècle d’Auguste, naissance du Christ n’a pas, si on se fie à ses notes, était entièrement compris par Gérôme. Mais, de notre point de vue, ce ne sont pas les qualités formelles (discutables) de l’oeuvre qui aurait causé sa disgrâce, mais une évolution des attentes critiques et publiques envers la peinture grande peinture d’histoire. Si, dans la première partie du XIXe, les commandes abondantes de
peintures historiques, par l’état en particulier, ont contribué à prolonger la suprématie de ce type de peinture, la seconde partie voit un net glissement de la peinture d’histoire vers la peinture de genre. Elle cherche à se rapprocher d’un public dont elle s’était depuis longtemps éloignée. Gérôme arrive en quelque sorte « en retard ». Eduqué dans la tradition de la grande peinture d’histoire, auprès de grand maîtres du genre, Ingres, Delaroche, l’oeuvre est produite dans un contexte qui ne lui est déjà plus favorable. Discrédité pour son caractère pompeux et idéalisant, la grande peinture d’histoire se devait d’évoluer, d’assouplir les frontières la séparant des autres genres.
A partir de là, Gérôme se tourne vers une peinture au sujets plus anecdotique, tout en conservant un gout certain pour la reconstitution archéologique et minutieuse du passé. Mais il délaisse l’emphase, la monumentalité, pour approcher l’histoire de façon plus intimiste, à échelle humaine. Sa « mort de César », en 1859, ne représente plus la fin de la république romaine, mais la mort d’un homme, avec un certain pathos. Gérôme explore ainsi de nouvelles pistes, de façon plus assumés, et raffermis par son échec. Il suit ainsi les traces de Paul Delaroche, qui le premier avait tenté de rendre le fait historique plus accessible, au travers d’une reconstitution archéologique réaliste qui n’oublie pas pour autant l’humain. Gérôme suit la même démarche que les grands historiens de la génération romantique (tel qu’Augustin Thierry et Jules Michelet), en proposant une étude critique et objective de l’histoire, en la hissant au rang de science à part entière, mais en adoptant une narration vivante, voir romancée. Gérôme, en effet, parait plus être un raconteur d’Histoire qu’un peintre.
La vision de l’histoire continue à se modifier et à évoluer avec l’apparition de l’école positiviste, dans le dernier tiers du XIXe. Elle propose une approche de l’histoire objective, centrée sur l’évènementiel, l’anecdote, basée sur des documents d’archives. Ces nouvelles manières d’appréhender l’histoire donnent un nouveau souffle au genre, qui reste évidemment décrié par certains critiques, comme Baudelaire, qui écrira :
"Ici l'érudition a pour but de déguiser l'absence d'imagination. La plupart du temps, il ne s'agit que de transposer la vie commune et vulgaire dans le cadre grec ou romain ».
De fait, nous serions tentés d’envisager Gérôme, non plus comme un peintre, mais comme un talentueux créateur d’images.
Le tableau « le siècle d’Auguste la naissance du Christ » est unique dans l’oeuvre de Gérôme. Elle marque la concrétisation manquée d’une ambition de jeunesse, qui n’était plus au gout du moment. L’évolution du
traitement de l’histoire par Gérôme marque les derniers soubresauts du genre, qui tombera complètement en désuétude au siècle suivant. Malgré lui, Gérôme incarne la transition, entre le déclin de la Grande peinture d’Histoire, grandiose, et sa réinvention, l’histoire vue au travers du prisme du quotidien et de l’intime.

Bibliographie :
- Gerald M. Ackerman, Jean-Léon Gérôme. Monographie et catalogue raisonné, Courbevoie, ACR, 2000.
-Gerald M. Ackerman, Jean-Léon Gérôme, sa vie, son oeuvre, Courbevoie, ACR édition, 1997.
-Laurence des Cars, Gérôme. De la peinture à l'image, Paris, Gallimard, 2010.
-Hélène Lafont-Couturier, Gérôme, Paris, Herscher, 1998.
-Laurence des Cars, Dominique de Font-Réaulx et Edouard Papet (éd), Jean-Léon Gérôme (1824-1904). L'histoire en spectacle, Musée d'Orsay, Paris, Skira-Flammarion, 2010.

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