lundi 4 mars 2013

La remise en cause des influences dans le vocabulaire de l’Histoire de l’Art


Compte rendu du séminaire diachronique sur le thème de "La remise en cause des influences dans le vocabulaire de l'Histoire de l'Art", qui s’est tenu à l’université François Rabelais de Tours, le 17 janvier 2013


La remise en cause des influences dans le vocabulaire de l’Histoire de l’Art

   Le terme influence est une notion clé dans l’histoire de l’art, dans le sens où elle a façonné une histoire de l’art « évolutive », impliquant que les artistes ou les courants artistiques ne pouvaient se définir qu’au travers de ce qui les précédaient, selon un modèle de continuités ou de ruptures. Cette notion tend cependant à être remise en cause. Ce modèle méthodologique d’appréhension des œuvres présente en effet des lacunes qui amènent parfois à mésestimer la complexité des transferts entre les différents artistes, styles ou médias. Il s’agira d’essayer de comprendre les limites de la notion  d’influence, et de voir les alternatives que l’on peut proposer à cette lecture sclérosante de l'histoire de l’art.

1. L’apport théorique de Baxandall
   L'historiographie de l'histoire de l'art est parsemée d'imprécisions dont la sur-utilisation contribue à leur donner une fausse légitimité dans le vocabulaire scientifique. La notion d'influence fait partie de ces faux acquis en proposant une lecture de l'histoire de l'art dépendante d'un "piège du langage", une imprécision erronée dévitalisée de son sens. Cette idée d'influence, donc, devenue lieu commun dans le vocabulaire de l'histoire de l'art, n'a réellement commencé à être remise en cause que récemment (à partir des années 70) par l'historien d'art  Michael Baxandall, en particulier dans son ouvrage "Patterns of Intention: On the Historical Explanation of Pictures" en 1985.
Si l'on s'attache, comme point de départ à la réflexion, à la définition littérale du vocable "influence", on peut remarquer que le terme est sous tendu par l'idée d'une action de l'influent sur l'influencé, d'un ascendant de X sur Y. Cependant, cette définition, comme le remarque Baxandall, ne peut s'appliquer à l'histoire de l'art sans nier la part active, c'est une évidence, que prend l'artiste vis à vis de sa propre création. Le rapport "actif/passif" que suggère le terme influence ne peut pas s'appliquer à la réflexion sur le processus de création artistique.
La notion d'influence est problématique dans le sens ou elle ne permet d'envisager l'art que dans une logique déterministe. Les rapports qu'entretiennent les artistes avec leurs modèles sont bien plus complexes et porteurs de sens, et nécessitent l'emploi d'un vocabulaire adapté et nuancé.

2. De l’influence à la citation intellectualisée
   Le regard porté sur l'art médiéval, qui repose en partie sur une utilisation stricte de modèles iconographiques, est à ce titre symptomatique des problèmes posés par la notion d'influence.
Les rapports qui régissent les phénomènes de transmission et de circulation iconographique sont sans doute tributaires de l'idée d'influence, mais les envisager sous ce seul prisme en réduit considérablement la lecture. Comme nous avons pu l'observer dans le cas du Bon Gouvernement du Palazzo Pubblico à Sienne, le programme iconographique mis en place par l'artiste n'est pas un simple agglomérat, mais fonctionne justement par citations réfléchies et intellectualisées. La manière dont Ambrogio Lorenzetti use de reprises iconographiques porte du sens et conforte son message, la ou la notion d'influence correspond à une sorte de déni de l'artiste, en en minorant la part active dans la construction du sens.

3. De l’influence à la référence
   Un regard croisé sur la sculpture et la peinture aux XVème et XVIème siècle permet de noter l'influence de la première sur la seconde. Mais il s'agit, au XVème, d'une influence générique de la sculpture sur la peinture, qui cherche à y trouver des modèles de volumes transposables à la peinture, afin de traiter les drapés et vêtements en particulier. Cette tendance, le glissement du style sculptural vers la peinture, change à partir du XVIème siècle. les peintres s'inspirent des sculpteurs, afin d'enrichir leur vocabulaire stylistique. On passe d'une influence stylistique à la mise en place de références impliquant un regard nouveau de l'art pictural sur l'art sculpté. L'influence assimilée devient référence.

4. De l’influence au dépassement
   Les rapports qu'entretinrent les architectes prix de Rome à l'idée d'influence est particulièrement intéressants. Le grand prix d'architecture, créé en 1720, a vu ses modalités se transformer peu à peu dans le courant du XVIIIème et du XIXème siècle. Le lauréat du prix était envoyé à  l’Académie de France à Rome en y bénéficiant d'une pension. L’apprentissage du métier d'architecte était alors fondé sur des règles de copies des modèles de l'antiquité romaine, modèles dictés par l'académie. mais les jeunes architectes lauréats vont peu à peu s'écarter de ce modèle imposé, en faisant évoluer leur travaux, jusqu'alors basés sur une imitation "servile" de l'antique, une approche archéologique qui se dévitalisé peu à peu de son sens, vers une nouvelle pratique permettant, au travers des connaissances acquises, de nouveaux partis pris esthétiques. En intégrant à leur travaux une vision nouvelle de l'antique, ce qui n'était "que" des relevés archéologiques se transforment en paysages, parfois même en scène de genre. Comme le formule M. Royo (professeur des Universités, histoire, civilisation, archéologie et art des mondes anciens et médiévaux) en rejetant l'autorité de l'académie, "l'esprit vint aux architectes"
   La notion d'influence est bancale, dans la mesure où elle repose sur une incohérence sémantique. Sa remise en question ouvre la voie à de nouvelles façons d'aborder les phénomènes de transmissions dans l'art, débarrassées de la "mystique" de l'influence, et permet, au sein même de la discipline, de réfléchir à l'enjeu du langage.



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